Donald Trump espère aussi affaiblir la valeur du dollar, pour rendre les produits américains plus compétitifs sur les marchés internationaux et donc accroître les exportations américaines. Ces politiques “trumpiennes” vont-elles aboutir à la fin du règne du dollar sur la finance internationale ? Tentative de réponse avec Stéphane Déo, gérant de portefeuille chez Eleva Capital.
Où en est le dollar aujourd’hui ?
Plusieurs statistiques montrent la position dominante du dollar sur la scène internationale. En 2024, 49 % des paiements internationaux réalisés via la plateforme SWIFT l’ont été en dollars. Loin derrière, on retrouve l’euro (22,3 %), la livre sterling (6,9 %), le yuan (4,3 %) et le yen (3,7 %).


En ce qui concerne les réserves de devises détenues par les banques centrales du monde entier, le billet vert est encore plus dominant. En 2024, 57,8 % de ces réserves étaient en dollars, contre 19,8 % en euros, 5,8 % en yens, 4,7 % en livres sterling et 2,2 % en yuans.


Par ailleurs, une partie importante de la dette publique américaine est détenue par des acteurs étrangers : aujourd’hui, 23,5 % des bons du trésor US sont aux mains d’étrangers.
Une position déclinante
Si le billet vert domine ses concurrents de la tête et des épaules, son hégémonie s’affaiblit, depuis plusieurs années. En 2001, jusqu’à 71,52 % des réserves de devises des banques centrales étaient en dollars, contre 57,8 % aujourd’hui. En outre, alors que 34,4 % de la dette publique américaine était détenue par des étrangers en 2015, on est aujourd’hui retombé à 23,5 %.
Comment expliquer ce recul du dollar ? “Les pays asiatiques ont connu une crise économique très grave à la fin des années 90, explique Stéphane Déo. En raison de cette crise, les banques centrales de ces pays ont souhaité constituer d’importantes réserves de devises et ont donc massivement investi dans des bons du trésor américains. Mais ces pays asiatiques, et d’autres, ne désirent plus investir davantage dans la dette américaine et donc dans le dollar. Résultat, les réserves mondiales en dollars stagnent depuis 10 ans, aux alentours de 7 000 milliards de dollars”. Et comme les banques centrales ont augmenté leurs bilans au fil des années, le poids relatif du billet vert a automatiquement baissé dans les réserves de devises.
Jusqu’où peut décliner le dollar ?
“Je crois assez bien à la thèse de l’économiste américain Barry Eichengreen d’un monde avec trois monnaies de réserve : le dollar sur le continent américain, le yuan en Asie et l’euro en Europe, déclare Stéphane Déo. Le dollar n’est déjà plus ultra-dominant partout dans le monde. Des pays européens, ne faisant pas partie de la zone euro, utilisent de plus en plus la devise européenne comme monnaie de réserve. On voit aussi des monnaies du sud-est de l’Asie, comme le baht thaïlandais, qui fluctuent au même rythme que le yuan chinois. Cela montre que l’euro et le yuan deviennent des alternatives potentielles comme devises de réserves ailleurs que dans la zone euro et ailleurs qu’en Chine”.
“Trump est un accélérateur de tendance”
Stéphane Déo estime que Donald Trump a agi comme un accélérateur de ce mouvement de dédollarisation. Certaines données récentes indiquent en effet une perte de confiance dans le dollar, dans la dette publique américaine et, plus largement, dans l’économie américaine.
Quelles sont ces données ? Habituellement, en cas de chute boursière, les taux d’intérêt des bons d’État américains ont tendance à baisser, tandis que les devises refuges, comme le dollar ou le franc suisse, ont tendance à s’apprécier. Mais, alors que les bourses chutaient effrayées par les droits de douane de Trump, les taux d’intérêt de la dette américaine ont augmenté, et dollar s’est enfoncé. “Durant ce mouvement de panique, le dollar et la dette américaine n’étaient plus considérés comme des valeurs refuges”, résume Stéphane Déo.
Il ajoute que les fonds de pension canadiens, qui investissent traditionnellement aux USA, ont manifesté leur volonté de diversifier leurs placements, en raison de la politique erratique de Trump. “Cela représente quand même 4 000 milliards de dollars d’investissements”, précise Stéphane Déo.
Mais la perspective d’un départ de Trump, au bout de son mandat de quatre ans, ne pourrait-elle pas contrecarrer cette défiance à l’égard des USA ? “Je pense que cette méfiance pourrait survivre à Trump, avance Stéphane Déo. Il y a, au sein du parti républicain, des gens qui pensent comme lui. Et imaginez que J. D. Vance lui succède dans quatre ans… La question du rôle des États-Unis dans le cadre mondial se pose donc à long terme”.
Ceci dit, le dollar a encore de belles cartes en mains. “Le pétrole, l’or, le cuivre… Toutes ces matières cruciales s’achètent en dollars, avance Stéphane Déo. Il faudra donc du temps pour voir l’usage du billet vert se réduire”.
Que veut Trump ?
Selon Stéphane Déo, la baisse de la valeur dollar, en vue de réduire le déficit commercial américain, est un objectif évident de la politique de Donald Trump. “Mais je ne sais pas s’il souhaite que le dollar perde son rôle de monnaie internationale de réserve, précise-t-il. Il ne l’a jamais dit explicitement”.
Je ne vois pas les Américains travailler dans des usines de confection de vêtements. Tous les pays développés ont d’ailleurs tendance à basculer vers une économie de services.”
Néanmoins, sa politique visant à réduire le déficit commercial des USA pourrait aboutir automatiquement à ce résultat. “Il s’agit du paradoxe de Triffin, du nom de l’économiste belge Robert Triffin, développe Stéphane Déo. Un pays, dont la monnaie est une devise internationale de réserve, doit nécessairement être en déficit commercial. Si le déficit commercial américain devait être résorbé, le dollar ne serait donc plus une devise internationale de réserve. C’est logique : si les États-Unis ne sont plus en déficit commercial, ils n’ont plus besoin d’être endettés vis-à-vis de l’étranger. Ils n’ont donc plus besoin de vendre leurs bons du trésor aux banques centrales étrangères et le dollar disparaît de leurs réserves de devises”.
Ceci dit, Stéphane Déo ne croit pas que Trump va réussir à résorber le déficit commercial américain. “Je ne vois pas les Américains travailler dans des usines de confection de vêtements, déclare-t-il. Tous les pays développés ont d’ailleurs tendance à basculer vers une économie de services et à diminuer la part de l’industrie dans le PIB”.
L’économiste français Patrick Artus estime d’ailleurs que la surévaluation du dollar n’est pas la raison principale du déficit commercial des États-Unis. Il relève dans une note que le “dollar a été faible de 2004 à 2014″ et que le poids de l’industrie manufacturière, dans l’économie US, a reculé durant cette période.
“Renoncer au rôle du dollar comme monnaie dominante de réserve serait une grave erreur, précise-t-il dans cette note. Le statut du billet vert a permis d’attirer des capitaux aux États-Unis qui ont financé l’industrie des nouvelles technologies”.