« C’est un imbécile, qui n’a pas la moindre idée de ce qu’il se passe ! » De qui parle le président des États-Unis ? Du président de la banque centrale américaine, la Federal Reserve. Donald Trump s’en prenait ainsi la semaine dernière à Jerome Powell parce que ce dernier avait à nouveau refusé de baisser les taux d’intérêt. Et donc de faciliter une baisse de la valeur du dollar réclamée par le président.
Pourquoi cette demande de Donald Trump ? Parce qu’un dollar moins fort soutient les exportations américaines et freine les importations, en clair améliore la balance commerciale des États-Unis – la grande bataille de Donald Trump, menée à coups de hausses brutales de droits de douane. Et pourquoi Jerome Powell regimbe ? Parce que cette guerre commerciale et les réactions qu’elle suscite, de la Chine à l’Union européenne, vont générer selon lui des secousses « plus fréquentes » sur les échanges mondiaux, avec des effets « plus persistants » – qui commandent la prudence sur les taux.
L’impérialisme du dollar
Tout serait (relativement) simple si, dans le même temps, Donald Trump ne bataillait pour défendre la domination du dollar sur les monnaies mondiales. Une préoccupation constante des gouvernements américains, rappelle le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau. Le problème est que cela entre en contradiction avec la guerre commerciale et l’objectif de baisse du niveau du dollar. La solution, proposée par le chef des économistes de la Maison Blanche, Stephen Miran, serait de forcer les autres États à acheter davantage de produits américains et, en même temps, à continuer de soutenir le cours du dollar.
Absurde, disent les économistes. Ce n’est même plus au programme, ajoute François Villeroy de Galhau. Mais l’on sait Donald Trump imprévisible. Et comme nous le déclarait Sébastien Jean, économiste du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), « des actions mal calibrées des États-Unis pourraient faire beaucoup de dégâts, délibérément ou non ».
Le match États-Unis-Chine
Faut-il dès lors parler d’une « guerre des monnaies » ? L’expression renvoie à trois dangers différents, même s’ils peuvent à l’occasion se recouvrir, nous explique l’économiste Christian de Boissieu. Le premier est « une guerre des changes, une situation dans laquelle chaque pays essaye d’améliorer la compétitivité de ses entreprises et de ses exportations au détriment des autres en faisant baisser son taux de change ». Et il y a, « dans la politique de Trump et de ses conseillers, une connexion étroite entre les tarifs douaniers et la guerre des changes. »
Le second danger est « une guerre des monnaies de réserve, pour avoir le leadership monétaire et les avantages qui vont avec », poursuit Christian de Boissieu. Le dollar compte aujourd’hui pour 60 % des réserves de change dans le monde, l’euro 20 %, et le yuan 4 %. « Mais les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, à l’origine) contestent la puissance américaine et prônent une sorte de dé-dollarisation de l‘économie mondiale ». De ce point de vue, souligne Christian de Boissieu, « le vrai match des monnaies n’est pas euro-dollar, mais dollar-yuan, comme le match principal sur le commerce est États-Unis-Chine. Le monétaire suivra le commercial et la géopolitique ».
Troisième danger, la montée des « cryptomonnaies », là encore sous la volonté agissante de Donald Trump.
Croissance en berne
On en est là, et nul ne connaît la suite. Certains évoquent une guerre des monnaies dégénérant en crise financière. D’autres se veulent plus rassurants, comme le gouverneur de la Banque de France. En attendant, l’accumulation des incertitudes freine toute l’économie mondiale. Le FMI (Fonds monétaire international) a revu fortement à la baisse ses prévisions de croissance pour les États-Unis (de 2,7 % à 1,8 %). De quoi énerver un peu plus Donald Trump.
La guerre des monnaies, de Christian de Boissieu et Marc Schwartz (Éditions Odile Jacob).