L’incertitude liée aux menaces de tarifs douaniers du président américain plombe le cours du dollar canadien, et avec lui les espoirs d’une saison des festivals de musique plus confortable pour leurs organisateurs. La chute de près de 10 % de la valeur du huard par rapport au dollar américain entraîne une hausse du coût des cachets des artistes internationaux, souvent en haut de l’affiche.
Les festivals accusent donc un autre dur coup après la hausse généralisée des frais de production d’événements depuis la pandémie. « Cette année, ça passe ou ça casse » pour le milieu festivalier québécois, croit Patrick Kearney, directeur général du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants, le REFRAIN.
Le 2 février dernier, peu après l’annonce anticipée des tarifs douaniers qu’entend imposer le gouvernement américain de Donald Trump, le cours du dollar canadien face à la devise états-unienne a chuté à son plus bas niveau en près de deux décennies. En septembre dernier, il se négociait autour de 0,74 $ US ; il y a deux semaines, il chutait à moins de 0,68 $ US ; il s’échangeait à environ 0,70 $ US lundi.
Or, de très nombreux artistes internationaux invités à se produire sur les scènes du Québec, qu’ils viennent des États-Unis ou d’Europe, demandent à être payés en dollars américains. « Prenons un musicien avec qui un producteur d’événements a signé un contrat il y a six mois », explique M. Kearney. « Pour confirmer la signature, le producteur a fait à l’artiste un premier versement de son cachet il y a trois mois ; là, son deuxième versement va lui coûter beaucoup plus cher que prévu. Une hausse de près de 10 % des cachets, d’un coup, c’est énorme. J’insiste : c’est devenu problématique de payer les artistes internationaux en dollars américains » en raison de la volatilité des déclarations de Donald Trump sur les liens entre les États-Unis et ses partenaires économiques.
Il faudra donc s’attendre à des affiches musicales de festivals un peu moins garnies qu’autrefois, prévient-il. À titre de directeur général du festival Santa Teresa, qui se tient en mai, Patrick Kearney annonce « qu’on n’aura pas d’artistes américains dans notre programmation cette année ». « On devra réduire l’offre, qui sera davantage québécoise, avec plus d’artistes de la relève », dit-il.
Depuis ses débuts, le festival Mutek, qui présentera sa 26e édition du 20 au 24 août prochains, a toujours fait une part belle aux musiciens d’ailleurs, ce qui lui a permis au fil des ans de s’établir comme l’un des phares de la création électronique internationale.
« En toute transparence, nous, depuis la pandémie, on a dû réduire de 30 % le nombre de performances dans notre programmation pour nous adapter aux effets de l’inflation, puisque le financement [public et privé] ne suit pas », regrette son directeur général et artistique, Alain Mongeau. Exemple : le volet Play du festival Mutek, un laboratoire de création audiovisuelle numérique plus expérimental, « qui fait partie aussi de la mission du festival par sa prise de risques et son potentiel de renforcer le dialogue avec la communauté locale d’artiste, on ne l’a pas présenté l’an dernier — et on ne le présentera pas non plus cette année parce qu’on n’en a plus les moyens ».
Sous pression financière, la taille de Mutek, comme d’autres événements au Québec, se réduit progressivement. « Jusqu’à présent, personne ne s’en est plaint, mais une question qui se pose : jusqu’à quel point pouvons-nous couper dans la programmation sans franchir le seuil critique où l’attractivité du festival en souffrira ? » demande M. Mongeau.
Les grands festivals aussi inquiets
Martin Roy, président-directeur général du Regroupement des événements majeurs internationaux (REMI), qui porte la voix de grands événements comme le Festival western de Saint-Tite, le Festival international de jazz de Montréal (FIJM), Osheaga ou encore le Festival d’été de Québec (lequel vient d’ailleurs d’annoncer une hausse de 15 $ du prix de ses laissez-passer), pose une autre question qui suscite de l’inquiétude dans le milieu des festivals québécois : « Le dollar canadien est passé de 0,75 $US à 0,69 $US, mais va-t-il encore baisser ? C’est sûr que ça va devenir extrêmement préoccupant. »
Tout ça va nous péter dans la face. De façon artificielle, on a l’impression que la situation n’est pas si mauvaise parce que ça ne paraît pas trop encore, mais, en coulisses, c’est autre chose.
« J’avais comparé la pandémie à un tremblement de terre, et l’inflation qui a suivi, plus sournoise, à un tsunami », ajoute le p.-d.g. du REMI. « Nos membres nous disent qu’il en coûte de 30 % à 40 % plus cher qu’en 2019 pour tenir un événement de l’ampleur de ceux d’il y a cinq ans. On espère que la poussée inflationniste s’est calmée. Quoiqu’on ne sache pas ce qui va se passer avec les Américains. Ce qui nous préoccupe, c’est l’impact sur la valeur du dollar canadien, qui rendra extrêmement difficile pour les festivals de présenter des artistes qui demandent à être payés en devise américaine. »
Les organisateurs de festivals feront alors face à deux choix, ajoute Martin Roy : « Ou bien on rationalise en changeant certains aspects de la programmation — moins de scènes sur le site, un calendrier plus court », comme l’ont fait les organisateurs des Francos et du FIJM l’année dernière, « soit on cherche plus de revenus de toutes sortes de façons, ce qui inclut plus de financement de la part des subventionnaires, des commanditaires et de nos revenus autonomes », comme le prix des billets ou des boissons vendues sur le site. « Comment les organisations devront-elles s’adapter à la situation dans ces circonstances ? Ce sont de vraies questions, que tout le monde devra se poser. »
Patrick Kearney met aujourd’hui en garde les subventionnaires : « Tout ça va nous péter dans la face. De façon artificielle, on a l’impression que la situation n’est pas si mauvaise parce que ça ne paraît pas trop encore, mais, en coulisses, c’est autre chose : telle organisation qui a dû abolir un poste, telle scène [est] retirée de la programmation. Et quand tu coupes dans la programmation, ce sont souvent les artistes de la relève qui écopent. »
« En ce qui a trait au financement public et à la recherche de commanditaires, le milieu des festivals est déjà fragilisé. Je pense qu’il y a en qui ne passeront pas à travers », conclut-il.