Depuis quelques mois déjà, les économistes et les journalistes australiens s’affolent. On entend parler de dépréciation historique du dollar australien, de sa crise monétaire, de la politique de la RBA ? Alors qu’en est-il vraiment du dollar australien et pourquoi tout ce vacarme ? Durant cette enquête, le Petit Journal de Sydney a interviewé Gabriele Gratton, professeur d’économie à la UNSW Business School et spécialiste des liens entre la macroéconomie (la politique économique) et la microéconomie (le comportement des acteurs économiques comme les entreprises et les foyers).
Ben Hosking
Précédemment, nous avons analysé les causes et les conséquences de la baisse du taux directeur par la RBA.
Une inflation en berne, une marché de l’emploi qui ne répond pas, une demande domestique à la ramasse et des exportations à foison.
Mais cette situation est-elle durable ? Quelles sont les évolutions probables ?
Le Petit Journal a analysé pour vous les différents scénarios possibles.
L’Australie cherche de nouveaux moteurs de croissance. Avec la fin de l’âge d’or minier, l’Australie n’a pas connu de récession pendant 24ans, le pays cherche à s’émanciper des matières premières. Le prix du pétrole est actuellement le conducteur le plus important du CPI australien, or le prix du baril a connu une baisse de 10% ce semestre. L’inflation risque de rester faible et c’est pourquoi la RBA a décidé en Juillet de maintenir son taux à 1,75%, en attendant la publication des chiffres de l’inflation le 27 Juillet. La RBA maintient que « le faible taux directeur soutient la demande intérieure et le commerce qui contribuent eux même à l’ajustement de l’économie australienne. L’inflation est toujours faible et devrait le rester un certain temps car la croissance du marché du travail ne suit pas. Les investissements sont certes moins importants mais les exportations pèsent moins sur la croissance du pays qui tente de diversifier son économie ».
Les chiffres de l’inflation, publiés le 27 Juillet et délivrés par le Bureau of Statistics ne sont pas encourageants. Le 0 est menaçant et cela laissait penser aux investisseurs et aux économistes que la RBA baisserait de nouveau son taux directeur au mois d’Aout, c’est chose faite ! D’après Gabriele Gratton, « à moins que l’emploi ne réponde, la RBA pourrait encore diminuer son taux. Elle attend de voir les chiffres de l’inflation avant d’agir. Mais selon moi, le CPI sera de 0 ». Cette autre baisse permettrait à la RBA de digérer l’inflation faible. Les économistes s’attendaient donc à voir le taux directeur baissé de 25 points pour atteindre les 1,5% et ils n’ont pas été déçus. Les experts de JP Morgan vont jusqu’à prédire une baisse à 1% d’ici 2017.
En effet, la RBA dispose toujours d’une grande marge de man?uvre quant à son taux directeur. Gabriele Gratton partage cet avis: « de 2009 à 2011 la FED a répété ne plus avoir de marge de man?uvre quant à son cash rate. De facto, c’est faux car elle a continué à baisser son taux. Dans l’Union Européenne, le cash rate de la BCE est négatif. Mais ce n’est pas le cash rate nominal qu’il faut regarder mais le cash rate réel, c’est-à-dire le cash rate déflaté (cash rate ? inflation). En Europe, comme le taux d’inflation est négatif, le cash rate réel est positif. En Australie, le cash rate est faible mais l’inflation est faible aussi donc le cash rate réel est égal au cash rate nominal. La RBA a donc encore une énorme marge de man?uvre pour diminuer son taux directeur ou pour l’augmenter ».
D’après les économistes, le dollar australien devrait trouver une résistance à 0,68 euros, 82 yen, 0,74 dollar américain et 1,10 kiwi et 0,995 loonie.
Les investisseurs, eux, prédisent que la valeur du dollar australien sera en moyenne de 0,70USD jusque 2018.
Car si dans l’histoire, la baisse des taux directeurs fut suivi d’une croissance exceptionnelle, c’était avant que nous entrions dans un monde à taux faible. Depuis 2008, les Etats Unis et la BCE pratique une politique de Zero Interest Rate Policy, autrement dit, de taux directeur proche de 0. Au Japon, la tendance est carrément négative avec la Negative Interest Rate Policy. Mais encore une fois, si l’on regarde les taux directeurs déflatés, la situation n’est pas si catastrophique qu’elle n’y parait. Or l’Australie a toujours eu des taux directeurs très élevés, tournant autour de 6% minimum.
Mais dans ce monde à taux zéro, est-il encore possible d’avoir des taux directeurs élevés ?
A cette question, Gabriele Gratton nous répond : « des taux élevés signifient de la pression monétaire. Le récent boom minier ainsi que le boom de la demande chinoise ont permis de garder des taux élevés. Or quand il y a des taux élevés et de l’inflation, les banques centrales ont tendance à augmenter encore plus leurs taux pour contenir cette inflation. A l’inverse, quand la banque centrale en question présente des taux élevés sans inflation, elle diminue son cash rate. La RBA ne veut pas laisser le dollar s’apprécier ni augmenter le cash rate car elle souhaite avoir une inflation entre 2 et 3% ». Autrement dit, en augmentant son cash rate, la RBA tuerait toute chance d’inflation. « La première décision de la RBA de diminuer son cash rate à moins de 2%fut prise car elle ne pensait pas pouvoir tenir ses engagements de maintenir l’inflation entre 2 et 3%. Les déclarations de la RBA n’ont pas changé récemment : l’inflation est toujours basse. La plupart des opérateurs s’attendent donc à d’autres baisses ».
Face à cette inflation timide, la RBA a revu ses objectifs de long terme à la baisse : si elle prévoit une inflation annuelle de 2,4% au lieu de 2,2% grâce au boost des exportations, la RBA s’attend à une croissance annuelle de 2% au lieu de 2,2%. La RBA, contrairement aux économistes, espèrent remonter son cash rate de 0,9% en deux fois d’ici la fin de l’année. Néanmoins, sur le long terme, la RBA a revu à la baisse son cash rate : il devrait être de 2,4% en 2018 au lieu de 3%.
En revanche, si la transition minière reste en marge, la RBA pourrait bien commencer à raugmenter son cash rate. « Il ne faut pas tellement s’intéresser au dollar australien mais plus à la structure de l’économie australienne. Le pays tout entier a conscience de reposer sur les matières premières et ne s’attend pas à pouvoir croitre en continuant à s’appuyer sur les mines et le pétrole. Depuis un moment l’économie australienne tente de se diversifier. L’Australie exporte toujours plus de produits non finis, de matières premières (comme la Norvège) que les autres pays de l’OCDE : le Luxembourg par exemple n’exporte que des produits finis (des services). En plus de cela, l’Australie subi des forts coûts de transports, car après tout, c’est une île. Mais elle continuera à exporter même si les coûts de transports deviennent plus chers que ses biens car elle n’a pas le choix ». Or pour que l’Australie ne soit pas totalement perdante, il faudrait que le dollar australien soit fort pour couvrir une partie des frais de transports, mais suffisamment faible pour continuer à exporter des quantités importantes et ne pas faire fuir les importateurs.
Mais l’Australie ne pourra pas augmenter indéfiniment ses capacités de production : « toutes les industries du pays reposent sur l’exportation. Il ne faut pas que le dollar australien soit trop fort car quand le dollar diminue, la demande augmente. Mais si le dollar est trop faible, la demande sera trop importante. Or une dépréciation du dollar n’est positive que si vous pouvez augmenter vos capacités de production ». Donc si pour l’instant les industries semblent bénéficier de la diminution du cash rate et de la dépréciation du dollar, de futures diminutions pourraient bien leur faire atteindre leurs limites productives et les conduire à leur perte. D’autant plus que ce sont les recettes des exportations qui permettent à l’Australie de financer ses importations : « le pays repose beaucoup sur les importations, notamment en matière d’agriculture et d’éducation. Avec la diminution du cash rate, les exportations sont moins chères mais les importations sont plus chères. Cette situation n’est pas durable car elle rend vulnérables la plupart des agents économiques du pays ».
Dans une dimension plus nationale, les experts s’inquiètent pour le secteur de l’immobilier : les prix des maisons ont recommencé à augmenter malgré des standards de réglementation et de construction plus strictes. En Mai, à Sydney, les prix immobiliers ont augmenté de 3,1%, et de 1,6% à Melbourne, soit une augmentation annuelle moyenne de 13%. En Avril, le nombre de permis de construire délivré a augmenté, ce qui laisse présager une inondation du marché immobilier d’ici 2 ans. Une mauvaise nouvelle qui ne s’arrangera pas avec la baisse des taux directeurs.
Toutefois, la RBA revendique que la croissance de l’emploi n’est pas suffisante pour pouvoir augmenter le taux directeur tout en créant de l’inflation. La RBA s’inquiète d’une prochaine déflation, l’inflation n’étant que de 1,3% en Mars, largement en dessous des 2% minimum espérés.
De plus, la récente décision de la FED de ne pas augmenter son taux directeur, pas autant que ce que les investisseurs espéraient, a freiné les investissements américains. De ce fait le dollar américain s’est déprécié et le dollar australien s’est apprécié. Après être tombé à 0,68 USD, le dollar australien a montré un pic à 0,78 USD en Avril. Début Juin il était aux alentours de 0,74 USD.
La RBA affirme que c’est grâce à son taux directeur bas que le dollar a pu se raffermir sur les marchés. Néanmoins, face à la faible inflation et à l’appréciation du dollar, une autre coupe du taux directeur est plus que probable. « Le dollar australien s’est déprécié de 4% mais les récentes appréciations pourraient compliquer les ajustements de l’économie et impacter les termes de l’échange » a déclaré Glenn Stevens.
Car le taux d’inflation est extrêmement bas et laisse la possibilité à la RBA d’encore baisser le taux directeur pour stimuler et stabiliser l’économie.
Néanmoins, tant que la demande et l’économie chinoises ne seront pas stables sur le moyen ou long terme, il sera extrêmement difficile pour le dollar australien et l’économie australienne de se stabiliser.
Les prochaines décisions de la RBA sont donc difficilement prévisibles. Enormément de facteurs peuvent influencer sa décision :
– Le taux de chômage : pour l’instant le marché de l’emploi ne semble pas réagir aux décisions de la RBA, donc une autre diminution du cash rate pourrait difficilement relancer l’emploi.
– La croissance du PIB : supérieure aux attentes de la RBA au premier trimestre, la RBA pourrait continuer à baisser son taux directeur pour maintenir cette dynamique.
– Le taux d’inflation : toujours trop faible, la publication des chiffres de l’inflation le 27 Juillet ont déjà conduits à une diminution du cash rate de 0.25 points.
– La solidité du dollar australien : toujours volatile, la monnaie australienne ne semble pas prête de se stabiliser sur le court terme, ni sur le moyen terme.
Ce sont autant de facteurs déterminants la décision de la RBA mais que cette dernière ne peut pas contrôler : « Si on pouvait prédire les changements de prix aujourd’hui, il n’y aurait plus de pression économique, plus de jeux économiques et donc plus d’échange » relativise Gabriele Gratton.
Sans compter que le dollar australien pourrait encore s’affoler et les investisseurs prendre leurs jambes à leur cou suite à l’annonce des deux plus grandes agences de notation du monde : Standard and Poor’s et Moody’s. Ceux deux agences sont chargées de noter la qualité des systèmes économiques et bancaires des pays. C’est le fameux AAA. Quand vous disposez d’un AAA, cela signifie que votre dette est bonne, autrement dit que d’autres pays vont acheter votre dette grâce à des bons du Trésor. La Chine par exemple, détient 1 270,5 milliards de dette américaine.
Or, Standard and Poor’s et Moody’s vienne d’avertir l’Australie d’une possible dévaluation de leur « triple A ». En effet, les deux agences ont comme l’impression que l’Australie est sur la mauvaise pente et que ses efforts en matière de politique économique et fiscale sont insuffisants : de 4% du PIB de dette en 2008, l’Australie est aujourd’hui à 18% de son PIB de dette. Les taxes prélevées par le Gouvernement sont jugées trop basses comparées aux dépenses gouvernementales. D’autant plus que face à la population vieillissante australienne, les dépenses gouvernementales notamment en santé publique, n’iront pas en diminuant. Les deux agences de notation ont donc annoncé que l’Australie avait 1 chance sur 3 de perdre son AAA d’ici 2 ans si le nouveau Gouvernement en place ne prenait pas des dispositions.
Une annonce qui ne devrait pas encourager les investisseurs à acquérir des Bons du Trésor Australien. Une bonne nouvelle pour la RBA qui ne verra pas son dollar australien s’apprécier mais une mauvaise nouvelle pour l’économie australienne et pour les investissements australiens.
Prédire les décisions de la RBA n’est donc pas une mince affaire bien que la tendance semble être à la baisse du cash rate. Parler d’une crise du dollar australien semble être exagéré : il s’agit simplement d’une période d’adaptation pour l’économie australienne. Cette dernière tente de diversifier son économie et de s’affranchir des matières premières. Les diminutions du cash rate de la RBA ne sont pas catastrophiques mais adaptées à ses objectifs d’inflation et de croissance.
Comme le dit si bien Gabriele Gratton : « la RBA ne veut pas d’un dollar trop fort. Mais personne ne sait ce que signifie « trop fort ». Le dollar n’est ni trop fort ni trop faible, il est ce qu’il est. L’Australie ne va pas pouvoir importer plus que ce qu’elle n’exporte pendant longtemps donc la RBA tente d’adapter sa politique. Elle essaie de trouver le chiffre magique pour que la valeur du dollar australien et de l’inflation australienne concordent et répondent à ses attentes ».
Il n’y a donc pas de quoi paniquer ! Pas de scenario catastrophe à l’horizon !
L’Australie connait une période de mutation et d’adaptation mais elle reste une économie forte et ne présente un taux d’endettement que de 18%, contre 106% pour les Etats Unis et 90% pour la France.
En attendant, vous pouvez profiter de la faible valeur du dollar et de la baisse des prix pour faire chauffer la carte bleue sans vous ruiner !
Marie-Charlotte Potet, www.lepetitjournal.com/sydney, vendredi 30 septembre 2016.