Depuis quelques mois déjà, les économistes et les journalistes australiens s’affolent. On entend parler de dépréciation historique du dollar australien, de sa crise monétaire, de la politique de la RBA ? Alors qu’en est-il vraiment du dollar australien et pourquoi tout ce vacarme ?

Durant cette enquête, le Petit Journal de Sydney a interviewé  Gabriele Gratton, professeur d’économie à la UNSW Business School et spécialiste des liens entre la macroéconomie (la politique économique) et la microéconomie (le comportement des acteurs économiques comme les entreprises et les foyers).

Ben Hosking

Mais avant de s’attaquer au coeur du problème, si tenté qu’il y en ait un, une petite piqure de rappel sur le dollar australien et la RBA s’impose.

Le dollar australien est en circulation depuis le 14 Février 1966 et il est ce que l’on appelle une monnaie matières premières. Autrement dit, la valeur du dollar australien dépend essentiellement des exportations du pays. Or l’Australie exporte essentiellement des matières premières : elle est le troisième producteur d’or au monde et ses exportations sont essentiellement constituées de fer et d’or jaune. A l’image du rand sud-africain, on comprend vite pourquoi le dollar australien est sensible aux variations des coûts des matières premières et aux exportations du pays. A l’échelle mondiale, le dollar australien englobe 7% des échanges mondiaux et est la 5ième monnaie la plus tradée. Mais depuis 2003, les choses ont évolué, doucement. Le dollar australien s’est quelque peu affranchi des coûts des matières premières et tente de s’indexer sur les coûts des biens de la vie courante, appelés Commodity Prices. Pour autant, la vigueur de l’économie australienne dépend toujours autant de ses matières premières et de ses récoltes agricoles, principales sources de revenus du pays, ainsi que de la santé économique de ses voisins importateurs. 

Et c’est la Reserve Bank of Australia, banque centrale australienne, qui est chargée de surveiller de près le dollar australien. Cette dernière est responsable de la politique monétaire australienne. Concrètement, elle se charge de définir le taux directeur du marché de la monnaie. Pour les nuls en économie, ce taux directeur, appelé « cash rate », représente le prix de la monnaie et influence directement les taux d’intérêts des prêts à la consommation, des prêts immobiliers et des prêts commerciaux. La RBA a donc le pouvoir d’influencer le comportement des investisseurs, des emprunteurs, des banques et des consommateurs. Or ce sont ces mêmes acteurs qui influencent directement les activités économiques du pays, la croissance et l’inflation.

Dans le but que l’ensemble de ces acteurs puissent jouir d’un climat économique favorable, la RBA s’est fixé 3 objectifs :

–    Assurer la stabilité de la monnaie australienne

–    Garantir le plein emploi

–    Encourager la prospérité et la sécurité économiques de chaque australien

 

Pour remplir ces trois objectifs, la RBA contrôle la quantité d’argent disponible en faisant varier le taux directeur. En l’abaissant, elle fait fonctionner la planche à billet pour qu’il y ait plus d’argent à emprunter que ce que les banques et les australiens ne demandent. On parle alors de politique monétaire expansionniste. En suivant la loi de l’offre et de la demande, on comprend vite qu’il y a alors plus d’offres que de demandes, et de la même façon que les prix des biens, le prix de l’argent diminue et la monnaie se déprécie. A l’inverse, en augmentant le taux directeur, la RBA diminue la quantité d’offre face à une demande inchangée ce qui conduit à l’appréciation du dollar australien.

Dans un sens ou dans un autre, les décisions de la RBA quant au cash rate n’affecte pas immédiatement les activités économiques ni les acteurs, qui mettent un certain temps à adapter leur comportement. Mais dans le moyen terme, ces décisions affectent les dépenses, les épargnes, le crédit, les prix des biens, les taux de change, et l’inflation.

Et la RBA pilote donc le taux directeur dans le but de maintenir l’inflation entre 2% et 3%, taux qu’elle estime idéal pour encourager une croissance importante et durable. 

Dans l’histoire australienne, la RBA nous a habitués à des taux directeurs assez élevés comparés aux taux des banques centrales des autres puissances économiques mondiales. Même durant la crise des Subprimes, lorsque la BCE et la FED ont baissé leurs taux directeurs respectifs pour les faire frôler le 0 et que le Japon montrait un taux directeur négatif, l’Australie maintenait des taux directeurs élevés tournant autour de 4%.

 

Cash Rate de la RBA de 2008 à 2016

 

 

 

Mais depuis Novembre 2011, le taux directeur ne cesse de diminuer. Après une baisse de 50 points entre Octobre et Décembre 2011, puis une baisse de 75 points entre Avril et Juin 2012, le taux directeur avait été abaissé à 3,50% pour atteindre les 2,50% en Aout 2013, son taux historique le plus bas. Alors que le taux directeur semblait avoir trouvé une stabilité, en Février 2015, après un an et demi sans modification , la RBA abaissa le taux directeur de 25 points pour le faire chuter à 2,25%. Une seconde baisse suivra en Mai pour atteindre les 2%. 1 an plus tard, il y a un mois, le taux directeur passa en dessous de la barre des 2% suite à la  baisse de 25 points de la RBA.

Le taux directeur est désormais à son plus bas, 1,50%, et ces coupes successives laissent penser aux différents acteurs économiques que la RBA ne s’arrêtera pas là.

Alors quelles sont les causes de ces baisses successives ?

D’après Gabriele Gratton, « des taux plus faibles signifient que la RBA tente de stimuler l’économie en faisant en sorte que le dollar australien soit plus facile à emprunter ».

Dans son communiqué de presse du 3 Février 2015 annonçant la baisse du taux directeur de 25 points à 2,25%, la RBA a expliqué sa décision par des facteurs extérieurs. Une appréciation du dollar américain, une dépréciation de l’Euro et de la monnaie japonaise plus forte que prévue, un ralentissement de la demande de la Chine, une chute dramatique des prix du pétrole ? Ajoutez à cela une demande domestique en baisse et une diminution des prix et vous obtenez les conditions idéales pour une baisse du taux directeur.

Le 5 Mai 2015, la RBA diminue de nouveau le cash rate de 25 points pour le faire atteindre les 2% à cause de la détérioration des termes de l’échange.

Rebelote le 3 Mai 2016 lorsque le taux directeur atteint les 1,75%. A cause d’une inflation insuffisante, d’un marché financier volatile et d’un boom minier récent, la RBA a jugé bon de diminuer encore une fois le cash rate, après 1 an de stabilité, pour le faire passer en dessous de la barre des 2%. D’après le Gouverneur de la RBA, Glenn Stevens, « l’économie globale continue de croitre mais à un rythme plus lent que prévu ».

 

Cash Rate de la RBA de 2014 à 2016

 

 

 

De plus, si on se fie aux objectifs de la RBA, on constate rapidement qu’aucun d’entre eux n’étaient atteint au moment de la baisse du taux directeur :

–    Le dollar australien était plus volatile que jamais après la décision de la FED et l’annonce du Brexit

–    Le marché de l’emploi stagnait depuis déjà quelque mois

–    L’inflation était loin d’atteindre les 2% minimaux espérés.

Toutefois, face à une légère remontée des prix et à l’approche du Brexit, la RBA a laissé ses taux inchangés en Juin et en Juillet 2016. 

Mais en quoi le dollar américain et la demande chinoise influencent-ils la décision de la RBA ?

D’après Gabriele Gratton, « La RBA ne répond pas toujours aux décisions de la FED. Ces deux banques centrales répondent à des liens différents mais sont liées à cause de la mondialisation. Le dollar australien et le dollar américain sont donc liés : si à la New York Stock Exchange, le cash rate est plus haut qu’à Melbourne, alors tous les investisseurs placeraient leurs capitaux à New York. Cela mettrait une pression monumentale sur le dollar américain qui s’appréciera ainsi que sur les foyers alors que le dollar australien se dévaluera. Ce genre de situation n’est pas durable et c’est pour cela que les cash rate sont régulièrement ajustés. Mais finalement, le plus important ne sont pas les cash rate en eux même mais la différence entre les cash rate. Beaucoup de taux de change dépendent de la différence entre les cash rate des différentes banques centrales. Si on reprend l’exemple précédent, c’est la différence entre les cash rate de la RBA et de la FED qui engendre une appréciation ou une dépréciation du dollar, autrement dit, qui modifie les taux de change ».

 

Sauf que la RBA ne pensait pas avoir à baisser ses taux, elle comptait sur les décisions de la FED. Mais la Banque centrale américaine, ne souhaitant pas que les investisseurs se ruent vers ses devises, ce qui aurait entrainé une appréciation du dollar vert, a maintenu des taux directeurs relativement bas, à la plus grande surprise des investisseurs. Ces derniers, sûrs d’une augmentation du cash rate de la FED, ont investi massivement en prévision de cette augmentation qu’ils croyaient certaine. Cela a eu pour effet d’augmenter les taux d’intérêts à court terme et d’apprécier le dollar américain. En conséquence, le dollar australien a connu une dépréciation de 8%, bien plus importante que celle connue par les autres monnaies des pays du G10.

 

Quant à la Chine, elle représente à elle seule 80% des exportations en fer et 40% des exportations en or de l’Australie. En début d’année, suite à l’appréciation spéculative du fer, le dollar australien a connu une appréciation historique de 13%. Mais lors de l’éclatement de cette bulle, suivie de la baisse de la demande chinoise, le dollar australien s’est aussi vite déprécié. En effet, la Chine a massivement ralenti ses constructions immobilières suite au ralentissement de sa croissance, engendrant ainsi une baisse de demande en fer. Ajoutez à cela, une dévaluation du cours de l’or et du cuivre et un baril de pétrole à son plus bas ($27 le baril de Brent en Janvier 2016). Et comme nous le rappelle Gabriele Gratton, « l’Australie dépend énormément des exportations et notamment des importations de la Chine. Car contrairement à la plupart des pays de l’OCDE, l’Australie n’exporte pas des biens intermédiaires mais des matières premières ».

Par exemple, de 2004 à 2008, le dollar australien n’a cessé de s’apprécier notamment grâce à sa convertibilité en yuan, monnaie chinoise, période durant laquelle le voisin asiatique construisait à foison. Le dollar australien est donc une monnaie très demandée qui a atteint sa valeur la plus haute en 2013. Or une monnaie très demandée engendre presque systématiquement une inflation importante. Pour la contenir, la RBA maintenait donc un taux directeur élevé. 

Ainsi, si la baisse du taux directeur de la RBA fut une surprise, elle était inévitable. Le dollar australien s’est donc déprécié à cause du ralentissement de la demande chinoise et de la différence réduite entre les cash rate de la FED et de la RBA. « Le cash rate est bas en Australie comparé aux anciens taux de la RBA. Mais pour l’estimer il est nécessaire de le comparer aux taux des autres pays. Actuellement la différence entre les taux de la FED et de la RBA n’est pas si importante. La question qu’il faut plutôt se poser est « est ce que le dollar australien était surévalué avant ou sous évalué maintenant ? » D’après moi il était surévalué avant et c’est cela qui inquiète la RBA. Actuellement, les avis des économistes sur le taux de change actuel est que nous sommes en train d’atteindre la parité et les données actuelles ne sont pas loin de la moyenne donc il n’y a pas de quoi paniquer ». La crise de l’euro et des USA, combinés au ralentissement de la Chine ont également contribué à la dévaluation du dollar kiwi et du loonie et à une appréciation du yuan et du dollar vert.

 Or, avec cet écart réduit entre les taux de la FED et de la RBA et un taux directeur australien à son plus bas, le dollar australien est de plus en plus volatile et cela n’est pas pour rassurer les investisseurs. La RBA souhaite donc limiter les risques d’appréciation du dollar australien, ce qui mettrait une pression ingérable sur la monnaie, les marchés et les foyers australiens. Pour se faire, elle diminue régulièrement son taux directeur depuis 1 an.

Maintenant que nous savons les causes qui ont poussé la RBA à baisser son taux directeur, il ne manque plus qu’à découvrir dans quel but elle a pris cette décision et si cela a porté ses fruits ?

 

Marie-Charlotte Potet, (www.lepetitjournal.com/sydney), jeudi 22 septembre 2016.



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