Économie et Politique
La chronique de Jean-Michel Lamy

L’administration américaine a choisi de changer l’ordre douanier international. Elle s’apprête à bousculer l’ordre financier occidental. Deux alertes ont déjà retenti. L’une sur les marchés, pour un prix d’achat à la hausse de la dette US. L’autre sur la relation Maison-Blanche – Fed, pour la menace de limogeage (tempérée ce 23 avril) du président de la banque centrale fédérale. De façon générale, Donald Trump n’accorde aucune légitimité aux contre-pouvoirs nés de la tradition démocratique. Les juges sont dans son collimateur. L’indépendance de la Fed pourrait être directement torpillée au risque de provoquer un krach financier. Un tel big-bang fragiliserait par mimétisme l’indépendance de la Banque centrale européenne. Ce pilier ébranlé, les lignes de défense de la BCE seraient grandement affaiblies face aux lobbys politiques. Les ressorts de la confiance sont parfois impénétrables.

Le “privilège exorbitant du dollar”

En moins de deux cents jours, le président américain aura déjoué les anticipations de ses partenaires d’élection. Dès son arrivée au pouvoir, les marchés le plébiscitaient par une hausse des indices boursiers et du dollar. N’étaient retenues que les promesses de baisses d’impôt et de déréglementation. Cinq mois plus tard, les allers-retours sur les relèvements de droits de douane créent des déflagrations en cascade dans les circuits de marchandises. Équivalent à des impôts, à peine ce choc récessif est-il intégré dans les calculs de rentabilité que les financiers prennent les relais pour une alerte générale sur l’avenir du dollar.

Dans les allées proches de Wall Street, chacun soupèse les chances de convaincre la Maison-Blanche d’arrêter de jouer au deus ex machina sur la baisse du cours du billet vert. La sur-appréciation d’une monnaie américaine recherchée par les investisseurs internationaux pénalise il est vrai les exportations de la bannière étoilée. Depuis 2008, l’appréciation du dollar est continue par rapport à l’ensemble des devises.

En revanche, l’oubli de la face souriante du “privilège exorbitant du dollar” est une grande prise de risque. Il règne en effet en maître sur le marché de la dette des bons du Trésor américain. Le circuit a sa saveur. Depuis des décennies, les entrées permanentes de capitaux permettent aux États-Unis d’engranger leur déficit extérieur sans difficulté et au passage de financer leurs investissements à l’étranger, notamment en Europe. Comme l’UE place ses excédents d’épargne outre-Atlantique, les entreprises européennes deviennent américaines grâce à l’argent du Vieux continent.

La méthode Trump de la dévaluation

Il a fallu des décennies avant que Bruxelles ne prenne conscience de ce mécanisme magique et songe à instaurer en défense une Union d’épargne et de financement. Il fallait un Donald Trump pour mettre en péril un système où le consommateur final US paie une partie de son “panier” avec des dollars d’imprimerie que s’arrache le monde entier. L’affaire a commencé à prendre corps avec l’analyse du super-conseiller Stephen Miran pour qui ce rôle international du dollar explique aussi la désindustrialisation. Parmi les traitements proposés, le moins fantaisiste est sans doute la plaidoirie pour des accords du Plaza bis (1985). Ceux-ci avaient conclu sur une réappréciation du mark allemand et surtout du yen japonais. Quarante ans plus tard, les grands argentiers signeraient alors “les accords de Mar-a-Lago” pour aboutir à la baisse de la monnaie de réserve du monde. La preuve de sa force, elle assure 90 % des opérations de change, 45 % des paiements internationaux et 60 % des réserves en devises des banques centrales.

Le pouvoir trumpien veut la main pour exiger le recul des taux d’intérêt afin de combattre une récession… artificiellement créée par ses soins.

Changes flottants ou pas, Donald Trump est convaincu que la dévaluation reste la meilleure méthode pour rendre compétitif le made in America. Qu’il oublie les autres ressorts d’un produit concurrentiel importe peu. Qu’il fasse fi de l’hostilité des autres pays échaudés par les épisodes douaniers ne change rien non plus. Le terrain se prépare pour une nouvelle gouvernance monétaire où le pouvoir trumpien veut la main pour exiger le recul des taux d’intérêt afin de combattre une récession… artificiellement créée par ses soins.

Dans cette perspective, Jerome Powell, le président de la Fed, dont le mandat dure jusqu’en mai 2026, est dans le viseur du président américain : “si je veux qu’il parte, il partira vite fait. C’est un loseur”. Le banquier central avait simplement réaffirmé l’engagement fondateur de lutte contre l’inflation : “nous ferons ce que nous faisons sans tenir compte des facteurs politiques ou de tout autre facteur extérieur”. En clair des droits de douane qui fabriquent de l’inflation réduisent la probabilité d’un recul cadencé des taux d’intérêt.

La confiance dans la politique économique américaine à l’épreuve

Dommage que “le Donald” ne lise pas les ‘Flash Économie’ de Patrick Artus (Ossiam) : “dans un environnement de faible substituabilité entre production domestique des États-Unis et production des pays étrangers, c’est un dollar fort qui est optimal”. Quoi qu’il en soit le billet vert chute, de quelque 13 % depuis janvier face à l’euro, mais pour de mauvaises raisons. La dette souveraine américaine, jusqu’à maintenant considérée comme un actif refuge sans risques, connaît de violents délestages. “Je ne pense pas que nous assistions à un dysfonctionnement, dans le sens d’un assèchement complet des liquidités sur les marchés, mais à une tendance vraiment très inquiétante suggérant une perte de confiance dans la politique économique américaine”, commente Janet Yellen, ancienne présidente de la Fed, citée par l’analyse marché d’IG France.

Le mot terrible est lâché. Quand la “confiance” s’en va, les investisseurs en dollars s’en vont et les tendances centrifuges s’accélèrent. Dans ce climat d’incertitude, la banque centrale constitue une ancre de stabilité et de prévisibilité qu’il faut préserver. Attaquer la Fed sur son indépendance, c’est rajouter de la défiance chez les agents économiques. Qui du coup se protègent en cherchant fortune sous d’autres contrées. C’est le moment de rappeler à la Maison-Blanche que le pays a accumulé une dette de 36 000 milliards de dollars dont près de 20 000 à renouveler d’ici trois ans. La suite n’est pas écrite, tant Trump varie.

L’euro face aux chaos à répétition

Le défi de ces chaos à répétition concerne au premier chef l’euro. La BCE, qui veille sur la zone, a ses propres fragilités. Parce qu’elle est gardienne d’une zone toujours très fragmentée pour le financement sur les marchés extérieurs des vingt et un États membres. Chaque capitale emprunte à son propre taux ! Un reflux massif de capitaux déroutés des États-Unis pourrait modifier les équilibres actuels.

Une mise en commun d’une partie des dettes publiques des États de la zone euro reviendrait à créer un actif sûr pour les investisseurs désertant le Trésor US.

Certes, Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a prévenu qu’elle garantirait la stabilité financière de la zone. Ce qui recèle un aspect vertigineux. L’arme fatale, dite “Draghi”, consiste en l’achat par la banque centrale de la dette publique des États. À la clef, il y a un reflux quasiment assuré des taux d’intérêt. Donald Trump n’en a pas encore parlé en ces termes pour la Réserve fédérale, mais certains y pensent pour lui. Reprendre à grande échelle “l’assouplissement quantitatif”, communément appelé planche à billets, serait synonyme de désastre inflationniste. Les bombes latentes des précédents épisodes – les stocks d’obligations souveraines – sont toujours inscrites dans les bilans des banques centrales. Les regonfler à nouveau avec ce type d’actifs porterait atteinte en la confiance dans la monnaie. Et ce des deux côtés de l’Atlantique.

De quoi préférer le temps long. Ainsi Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Économie, plaide pour installer un “euro de référence” face au “roi dollar qui vacille”. Une mise en commun d’une partie des dettes publiques des États de la zone euro reviendrait à créer un actif sûr pour les investisseurs désertant le Trésor US. Dommage que l’excès d’endettement de la France empêche de fait un tel projet. D’autres pensent à des échafaudages futurs autour d’un système monétaire multipolaire avec l’euro, le dollar et le yuan. Pourquoi pas.

La dédollarisation est également à l’affiche depuis longtemps. Le bloc des BRICS+, qui pèse 40 % du PIB mondial, pourrait en être le fer de lance. Christian de Boissieu et Marc Schwartz, auteurs de ‘La nouvelle guerre des monnaies’ (Odile Jacob), n’y croient pas du tout : “l’appel répété à la dédollarisation consiste aujourd’hui à prendre son désir pour la réalité. Nous pensons que dans dix ans le billet vert sera encore la devise dominante sur le plan mondial”. C’était sans compter l’effet Trump, qui sait. Le livre analyse également l’irruption des monnaies numériques dans le paysage. Où l’on croise le bitcoin, actif financier mondial. Et à nouveau Trump fan de crypto-actifs.





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